Bien qu’il se soit offert une opération de lifting, à l’occasion de sa récente réouverture, le rendement du poste est bien en deçà des attentes. Il y a bien des raisons à cela. Décryptage.
Tous ceux qui ont été transportés de joie à la suite de la réouverture récente du poste-frontière de Ras Jedir ont vite déchanté. Parce que le temps où ils pouvaient y transiter tranquillement, chargés de marchandises diverses, n’est pas encore revenu. Reviendra-t-il un jour? «J’espère qu’il ne s’agira pas d’un aller sans retour», s’inquiète Fethi, 55 ans, habitant de Raoued (Ariana) qui se présente comme un habitué des navettes entre les deux pays. «L’autre jour, explique-t-il, j’ai mis près de sept heures, côté libyen, pour passer, non sans avoir été, auparavant, dépossédé, je ne sais trop pourquoi, de plus de la moitié de mes bagages. Le plus bizarre est qu’on m’a laissé partir sans être mis en examen ou m’infliger une amende. Du jamais vu ! Par ailleurs, notre interlocuteur assure que beaucoup de passagers tunisiens, pourtant en situation régulière, ont vécu la même mésaventure, sans jamais comprendre pourquoi ils sont traités de la sorte».
En proie à des luttes intestines
Toutefois, un début de réponse semble se profiler. En effet, selon un douanier exerçant dans un district du sud et qui a demandé à garder l’anonymat, le problème, il faut aller le chercher du côté libyen qui ne semble pas tout à fait prêt à gérer le poste. Sachez, par exemple, que les équipements de haute technologie conçus pour le contrôle des véhicules qui auraient dû être installés bien avant la réouverture du poste ne sont devenus opérationnels que mercredi dernier.
Cela sans parler des problèmes internes chroniques qui ne cessent d’entraver le fonctionnement normal du site. Sans nous donner plus de détails, notre source préfère se taire, et ça se comprend. Mais, pour les besoins de l’enquête, nous avons jugé utile de consulter les réseaux sociaux, précisément la page officielle de la direction générale de la douane libyenne. Et là, que de révélations sensationnelles !
En effet, il s’est avéré que le poste-frontière de Ras Jedir, côté libyen, est en proie à des luttes intestines entre l’effectif nommé par le gouvernement de Tripoli et celui des milices armées de la région affectées au même poste. D’après les mêmes révélations, des agents contractuels appelés en renfort sont en ébullition, pour n’avoir pas été payés depuis des mois. D’autres réclament plus d’équité et de transparence en matière de promotion de grade, quand une tierce partie continue de condamner la corruption sévissant dans le site.
Ceci explique cela
Toujours selon la même source, on lit qu’un groupe de personnes inconnues a publié récemment sur Facebook une annonce de vente aux enchères de marchandises saisies à Ras Jedir, côté libyen. Suffisant pour provoquer l’irritation du directeur général de la Douane libyenne, Moussa Ali Mohamed, qui s’est empressé, en personne, de rendre publique une mise au point dans laquelle il a nié en bloc l’existence de ce groupe et «condamné les agissements des réseaux mafieux », tout en soulignant que «toute opération de saisie de marchandises ou de vente aux enchères relève exclusivement des prérogatives des autorités officielles représentées par la direction générale de la douane libyenne».
Ceci expliquant cela, l’origine de ces abus devient claire et presque inévitable. Au point qu’il leur arrive parfois de tout saisir, s’étonne Lazher, commerçant à El Hamma de Gabès, qui n’en revient pas encore. Et de s’interroger, médusé : « S’agirait-il d’actes de sabotage sur fond de règlements de comptes ? Jusqu’où ira ce cirque ? Faudrait-il, par désespoir, se résoudre à se rabattre, un jour, sur le poste-frontière de Wazen, pourtant exigu, avec un circuit plus long et harassant ?»
Interdit de perdre espoir
A contrario, la partie tunisienne semble opter pour la sagesse, et ne pas répondre du tac au tac. Ainsi, côté tunisien, le trafic a vite retrouvé sa vitesse de croisière, de l’avis des passagers des deux pays. Nizar, 40 ans, serveur tunisien dans un restaurant de la banlieue de Tripoli, le confirme. «D’après des clients libyens que je connais, nous a-t-il confié, les services de la police et de la douane tunisiens, affectés au poste de Ras Jedir, ont la cote ici et sont surtout appréciés pour leur sens de l’hospitalité et leur bienveillance. Ce qui tranche avec leur attitude de rudesse, paraît-il d’il y a quelques mois».
Mais, que ramènent nos voisins de leur séjour en Tunisie? «Des tas de choses qui nous manquent, ou qui sont excessivement chers, mais très abordables sur le sol tunisien», répond Nizar qui fait allusion aux denrées alimentaires (lait, huile d’olive, boîtes de conserve…) et aux dispositifs médicaux qui coûtent beaucoup moins cher par rapport aux prix exorbitants affichés en Libye et fixés par les réseaux de contrebande.
Reste maintenant à espérer que la situation ira en s’améliorant, côté libyen notamment, conformément aux recommandations de la dernière séance de travail qui avait réuni, la veille de la réouverture de ce poste-frontière, les ministres de l’Intérieur des deux pays. Il y va de la compétitivité des échanges commerciaux et de la protection du droit de circulation.